
In memoriam…
Oui, c’est bien vrai, cela m’a pris plus d’une décennie pour enfin pouvoir sortir un texte sur le séisme du 12 janvier 2010 en Haïti. Onze ans pour digérer cette douleur incommensurable d’y avoir perdu ma tante Josette Papillon, une octogénaire, qui a péri chez elle, écrasée par une masse de béton, ma belle-sœur Valérie Tardieu Desmangles et bon nombre de proches… Une seule lueur d’espoir dans l‘obscurité de ce jour funeste…, ma sœur Françoise et son mari Jean-Marc… sauvés des décombres… Onze ans pour évacuer l’horreur et publier finalement ce poème écrit dans l’effroi de cette année où la terre a tremblé sous les pas de millions d’Haïtiens et coûté la vie à près de trois cents milles âmes !
Adieu tante Zette ! Adieu Valérie !
La danse de la mort…
Ô Terre, Ô folle Terre
Qui aurait pu prédire le moment où tu rentrerais en transe
Dans un immense cri de désespoir, tu as craqué sur cette terre d’Haïti… un 12 janvier 2010
Les uns priaient, mangeaient, marchaient… d’autres baisaient, dansaient, vendaient, étudiaient…, vaquaient… à leurs occupations coutumières…
Tu n’en as pas tenu compte…
Tout ce qui t’importait c’était que tu puisses extérioriser ton ras-le-bol
Tu avais sans doute une douleur à la hanche et il te fallait te redresser pour soulager celle-ci
Peut-être que tu ne t’es pas rendu compte que ce petit geste de toi
Allait causer tant de dégâts chez de simples humains qui avaient déjà du mal à vivre, à exister
En véritable cinéaste de malheur, tu as produit le plus extraordinaire film d’horreur qui soit !
Tu as tout mis sens dessus dessous…
Hôpitaux, hôtels, écoles, églises, camions, orphelinats, palais, cathédrales, maisons, voitures
Un spectacle de chaos dans toute sa dimension catastrophique
Cris d’enfants, gémissements de douleur des mères, prières des pères ?
Rien n’y fit ! Tu as continué ta course débridée pendant ces quelques secondes qui prirent des allures d’éternité !
Une troupe de danse qui tourbillonne sans fin telle une toupie endiablée
Des équipes médicales qui ruent dans les brancards
Des livres qui brûlent
Des feuilles de papier, étourdies de saisissement, tombant du ciel
Des ambulances aux sirènes hurlantes immobilisées, paralysées par des tas de gravats…
Tu as transformé, dans un claquement de doigts, des masses de béton en accordéon de papier, en modeste amas de ferrailles…
Alors, les anges de malheur de Baron Samedi ne tardèrent pas à pointer du nez
Ricanant et piaffant de bonheur et de joie devant cette incroyable débâcle
Ils ont attrapé, en pleine course, toutes les prières qui s’acheminaient vers le Très-Haut et les ont enfouis dans leurs poches aux profondeurs abyssales… véritables morgues…
Pas de pitié!, même pas pour les innocents…
Toute leur satisfaction était de remplir les cimetières jusqu’au débordement
Prenant de court tous les croque-morts
En un clin d’œil, tu nous as ravi le peu qu’on avait… tu nous as tout pris !
Puis, les pleureuses sont arrivées et ont couvert notre bout d’île d’un linceul blanc
Deuil, Ô deuil ! Et encore… deuil, Ô deuil ! 300.000 morts ! Quel désastre !
Tu as, dans un claquement de doigts, rebaptisé toutes les avenues et tous les boulevards de la capitale… « Rue de l’Enterrement » ! Quelle prouesse ! La peine capitale, quoi !
Tu as, en six-quatre-deux, maquillé de poussières la face et le corps de plus de deux millions de personnes. Quel exploit !
Mais…, nous attendrons avec impatience le moment où ton accès de folie passera…
Le jour où tu redeviendras cette mère aimante qui nous avait fait
don d’une nature si magnifique, qui nous avait gavé de fruits juteux à souhait,
qui avait ébloui nos regards de si belles fleurs… de végétations luxuriantes…
Et, un soir, la mer, assagie, apaisée, recommencera à broder les rivages de nos plages de dentelles d’écumes blanches plus que lénifiantes !
© Margaret Papillon
15 juillet 2010